Endurance Trail des
Templiers – Octobre 2015 – 100km // 4800m D+
Il est 4h du matin ;
nous sommes 1500, frontale allumée, prêts à en découdre avec les causses de
Millau. Je suis venu aux Templiers avec Hugo, triathlète émérite, qui veut se
frotter à un effort long, et Arnaud, qui fera une très belle 2ème
place (!!)
En ce qui me concerne,
je suis plutôt en forme. Rien de fou, mais je me sens d’attaque pour boucler la
course en prenant du plaisir.
Comme d’habitude, j’observe
les autres tarés autour de moi pour jauger le niveau, mais il est vrai que pour
s’élancer sur une telle course, il faut en avoir déjà un peu dans les cannes.
La journée s’annonce
longue, mais très belle. Les conditions sont idéales, et il parait que nous
allons emprunter des parcelles normalement fermées aux randonneurs. Une
exclusivité pour endurance trailers J
Le départ ressemble
aux templiers ‘classiques’. Un rythme un peu rapide à mon goût pour ce type de
distance, mais cela permet de se chauffer les giboles.
Après 2 ou 3
kilomètres, nous voila déjà un peu étirés, à partir à l’assaut de la première
difficulté, qui nous fait avaler 400mD+. Je me calme dans la montée, et marche
tranquillement pour écouler des kilomètres non contraignants.
Psychologiquement, je me dis que 400m de montée à rythme cool permet de s’oter
400m sur la course… La psychologie est tout un art J
Nous redescendons
aussi sec, à travers bois. Les sensations sont au rendez-vous. Je prends
beaucoup de plaisir sur cette portion, ou l’on dévale un sentier forestier, qui
consiste en des lacets étroits et serrés.
La frontale permet de
renifler les moindres défauts que le terrain nous reserve. Il s’agit d’éviter
pierres et racines, qui peuvent vite taper sur les pieds, et gâcher une bonne
partie de la course.
Le premier ravito se
trouve au km20 ; je suis 100ème. Assez content pour l’instant de ma
course, mais il reste 80km. 1h53 de course,la route vers Millau et mon dîner reste longue !!!
Ma stratégie est
simple. Y aller molo les 50 premiers km, pour attaquer les 50 derniers, en y
mettant du rythme. Vous me direz, sans reconnaissance de terrain, et à la seule vue du profil de course présenté sur le site, c'est un peu léger... Mais bon, il faut bien se construire un schéma de course dans la tête.
Je repars gentiment,
et me dirige vers le 2nd ravito, qui se trouve 15km plus loin, à
Mostuejouls.
La monotonie du ventre
creux de la course s’installe. Il ne fait pas encore jour ; il faut donc
rester vigilant et trouver de bons appuis pour éviter de se tordre une cheville.
Je suis très à l’aise
sur cette portion. Une belle côte ajoute 450m de dénivelé à ma besace. S’en
suit une descente relativement façile… Je commence à appréhender la journée de
belle manière.
Lorsque je rejoins le
2nd ravito, j’ai parcouru 35km et gravi 1400mD+ en 3h57. Je gratte
quelques places pour me retrouver 96ème… Les voyants sont au vert !!!
A peine sorti du
ravito, le terrain commence à se corser… Du km35 au km55, ce ne sont que des
cailloux. Pas des petits, que l’on peut survoler. Mais des gros, dont tu te
souviens pendant la semaine une fois que les présentations avec tes 10 orteils
ont été faites.
20km de course à
cumuler tapages de pieds, et tendinite du fascia sur le côté gauche, vers le
haut.
Les pieds me font
souffrir. Dès que je les pose, je sens le sang du bout de mes orteils monter en
pression et avoir comme une envie de s’échapper.
Pour couronner le
tout, la tendinite du fascia s’installe, et m’empêche d’aller à mon rythme.
Le jour se lève, mais j’enrage.
Je peste. Je fulmine. Je m’attendais à tout, sauf une maudite tendinite, qui
arrive sans crier gare.
Dans le dur, dans le
rouge, je pense à l’abandon. A quoi bon courir encore 65km, si c’est pour ne
prendre aucun plaisir ?
Les kilomètres passent
à une vitesse d’escargot. Je me sens lent et pataud. Je déteste ça…
Mais bon an mal an,
les kilomètres défilent tout de même. A force de pester, me voila rendu à
mi-course, voire même au-delà.
Le ravito de Truel, 4ème
du nom, est au km 52. J’ai perdu plus de 50 places, mais je m’en fous
royalement. Je ne suis plus là pour faire un TOP50, ou un TOP100… Mes pieds et
mon tendon me l'empêcheront toute la journée.
Ma la mi-course
passée, je commence à aborder la course différemment. Je décide,au ravito, de
terminer la course. L’alternative n’est plus possible. J’ai déjà abandonné la
CCC, je ne vais pas m’y remettre… Je mets de côté mon égo ; je ne
chercherai pas la perf ; en revanche, je chercherai à profiter de chaque
instant des 48KM qu’il me reste à parcourir.
Me voila donc embarqué
dans une nouvelle aventure ; cette fois-ci de 48km.
Je sors du ravito
chargé à bloc ! Je m’engage en longeant un petit ruisseau, et décide de
remettre un peu le pieds dedans. Je suis comme un gamin, à courir avec passion
dans un environnement juste incroyable.
On se reprend 450mD+
avant d’aborder un replat de 5 ou 6km qui nous amène au ravito de St André de
Vésine. Ca monte, ca descent ; nous sautons par dessus des troncs d'arbres et des rochers qui jalonnent le parcours. Des à pic de 10m succèdent aux grimpettes de profil identique.
Une chose ne change pas : nous longeons les causses, et avons donc une vue superbe sur le paysage environnant. Les aigles ou buses tournoient en nous fixant telles des proies. Mais nous ne sommes que de passages, et n'allons pas les embêter longtemps.
Nous avons parcouru
63km ; j’ai le moral à bloc ; j’ai regratté 20 places tout en prenant
beaucoup de plaisir dans la course. Mes douleurs ne m’intéressent pas ; on
verra plus tard. Je suis concentré à 200% sur la beauté de paysage qui nous
entoure, en m’arêtant 2 ou 3 fois prendre des photos.
L'euphorie d'un coup de mieux ne signifie pas non plus que l'on se transforme en Usain Bolt. Je ne cours pas plus vite que lorsque je pensais à l'abandon. En revanche, je cours différemment. Plus relâché, peut-être, mais surtout beaucoup plus serein.
Lorsque tu penses abandonner. Lorsque tu souhaites abandonner ; ton esprit fera tout pour te trouver les excuses qui te donneront bonne conscience, et te permettront de te justifier. Une douleur ici, une gêne là, une fringale ou une hypo.
L'esprit vous créé un écosystème qui paramètre vos sensations sur ce que vous 'voulez' sentir.
Ce n'est pas "j'ai mal donc j'abandonne" ; mais plutôt "je veux abandonner parceque je suis une sacré feignasse ; donc je me dis que j'ai mal".
Une fois que le subterfuge est mis à jour, il ne reste plus qu'à l'exploiter, mais à l'inverse.
Lorsque je décide de terminer cette course, je me créé un écosystème mental qui me permet de me prouver que je 'suis bien'.
L'effort reste présent, la contrainte physique également ; mais la façon de l'absorber est radicalement différente... je vous accorde que c'est un peu maso, mais bon...
La descente vers la
roque Sainte Marguerite n’en finit donc pas. Presque 10km de descente casse pattes.
On a l’impression sur le papier que l’on va pouvoir emmancher ici, mais que nenni !
Chaque erreur d’inattention se paie cash d’un gros impact sur un orteil J De toute façon, mes
ongles sont déjà foutus, alors tant qu’à faire…
Je passerai cette
partie, et presque les 30 derniers km, avec un autres trailers parisien. Courir
à deux va bien nous aider, car à chaque
fois que l’un de nous 2 est à la peine, l’autre prend le relais.
Nous agissons comme
des cyclistes ; en se relayant tout les 2 ou 3 km…. Je dois bien avouer qu’il
est plus frais que moi, mais je sers les dents, et profite de la compagnie de
ce trailer fort sympathique pour discuter et engranger les kilomètres sans voir le temps passer.
Nous arrivons
rapidement à Pierrefiche. Ne restent
que 25km avant l’arrivée !! Une paille J
Le prochain ravito n’est
qu’un point d’eau, et si mes souvenirs sont bons, j’ai beaucoup souffert de
manque d’eau sur cette portion. Il y a 18km entre Pierrefiche et Massebiau, d’un
parcours pas très compliqué, mais relativement monotone, entre single et chemin forestier. Je mettrai 3 bonnes
heures pour rejoindre Massebiau ; autant vous dire que mes 1.2L d’eau n’auront
pas suffits.
Au pied du mur de
Massebiau, je m’arête pour me réhydrater. Il ne reste pas beaucoup de km, mais
une belle ascension nous attends. Il s’agit de ne pas craquer en plein milieu.
La côté de Massebiau
se fait au mental. Si je remets le couvert un jour, je débrancherai le cerveau
en bas, et la ferait beaucoup plus vite. En fait, elle n’est pas très longue, 4km seulement mais 500m de dénivelé tout de même. La pente zigzague sans discontinuer, ce qui donne un peu le tournis, et
donne une sensation de n’avancer à rien.
Ceci étant, on arrive
relativement vite en haut ; d’autant plus que cette année, nous avons la
chance de ne pas avoir un canyard sans nom, qui vous sèche en 30min sur cette
côte orientée plein soleil. Je ne mettrai "que" 50min pour achever cette grimpette, alors que je pensais mettre plus d'1 heure.
Une fois là-haut, le
tour est joué !
Je ne m’arête pas au
dernier ravito, car j’ai de l’eau, et je commence à avoir faim : l’appel
du dîner se fait ressentir.
La dernière descente
est raide. En pleine forêt, des raidillons en lacets montent et descendent vers
la grotte du Hibou. A force de serpenter, on finit par descendre. De temps en
temps à l’aide de corde, ou en s’appuyant sur des rochers.
Je me prends pour
Tarzan. Je commence à devenir fou ! 98km ; c'est dans la poche !!!
Ce n’est maintenant
plus que gavage… Mes pieds se cognent ; ma jambe tire (depuis 75km), mais
je m’en fous éperdument. J’ai gagné mon combat intérieur, et j’en suis fier
comme un paon.
Plus que 1km ; je
commence à avoir des bouffées d’émotions tellement la joie d’être parvenu à
surmonter la douleur me tenaille.
Je passe la ligne d’arrivée
en 15h et 18min, à la 119ème place.
Ma moyenne ne sera que de
6.17km/h. je voulais tourner au dessus des 7/7.5 km/h
Mais qu’importe la
perf ; j’ai appris encore beaucoup de choses sur moi-même, qui me permettront d’être plus fort mentalement, et aborder les
courses à venir de meilleur façon.
J’apprends qu’Arnaud
fait 2ème . Juste incroyable. D’un autre côté, c’est un vrai
percheron : bouquetin en montée, sanglier en descente… Et ca paie. Le
comble est qu’il va chercher la voiture… en courant !
On va avaler un gros
confit de canard et enquiller 1 ou 2 bières en attendant Hugo, qui finira en 19h et quelques, à la 543ème
place. Chapeau bas pour un sportif qui n’avait jusque là bouclé qu’un 50km !
De cette longue et
passionnante journée, je retiendrai 1 chose importante : le mental est
primordial. Si tu décides de terminer, tu le feras, peut importe les sensations J