Vendredi matin, 9h, Courmayeur, départ de la CCC. 1900 personnes s'élancent à la conquête du Mont-Blanc : 101km et 6100mD+ s'offrent à nous.
Dès les premiers mètres, je sens que les jambes sont dures. C'est la première fois que cela me fait ça : chaque foulée est vraiment pénible. Que j'aille vite ou lentement, le verdict est le même... La course s'annonce compliquée, ça me met un sacré coup au moral.
Je me cale dès la première ascension dans un groupe avec lequel j'évoluerai plus au moins tout au long de la course, autour de la 150-190è place.
La première ascension se passe bien, mais les jambes ne répondent pas présentes. Je suis déçu car je me suis beaucoup entraîné pour cette course, et voila que ça ne paie pas. A mon avis, j'y suis aussi allé un peu fort, et je paie un peu le sur-entrainement des 2 dernières semaines. Ce que je ne comprends pas, c'est que 2 jours avant, j'ai fais une rando avec 1000m D+ sans aucun problèmes, avec de bonnes sensations.
Clairement, je suis dans un jour sans.
J'arrive en haut de la tête de la Tronche en 2h, pour 10km au compteur, mais déjà 1500m D+ de faits. Je double dans la montée Sylvaine Cussot, du team Asics ; assez marrant et sympa de voir en course des personnes que l'on voit plutôt dans les mag de trail :-) Elle est costaud la Sissi : sans bâtons, elle prendra la 4è place féminine ; chapeau bas. Mais de mon côté, les jambes sont toujours lourdes, et cela me fait un peu peur pour la suite.
Les 2nd check point est 5km plus loin. Là, pour le coup, je me fais plaisir car cela descend sur un sentier roulant mais montagnard ! Je suis venu pour ça, et le sourire revient un peu. 23min pour faire ces 5km, je suis dans mon timing.
Le refuge Bonatti est 12km plus loin. Le parcours est relativement plat, mais les jambes restent très lourdes ; impossible d'avancer en me faisant plaisir, et je sens que je puise dans mes réserves pour chaque foulée effectuée. Pourtant, il n'y a pas de réelle difficulté à signaler, ce qui m'inquiète encore plus. On peut contempler de magnifique glaciers sur notre gauche, mais j'y prends moins de plaisir que pendant le TGV ; ce n'est pas normal... Ma mauvaise condition m'empêche de profiter à plein de la course ; je suis un brin dépité.
Après le ravito d'Arnuva, nous voila parti pour l'ascension du grand Col Ferret. Pas de jus, cette montée est vraiment pénible. Arrivé en haut avec beaucoup de mal, je range les bâtons, et c'est parti pour une grande descente vers Praz de Fort. Les paysages sont sublimes, mais je n'ai même pas eu le courage de sortir mon ActionCam, contrairement au TGV début Juillet...
J'arrive à Champex Lac au km56 en 8h10 à la 172è place. Plus de la moitié des km parcourus, et plus de la moitié du D+. Je suis en avance sur mes estimations, ce qui est bien, en revanche, gros problème : impossible d'avaler quoi que ce soit. J'ai une assistance de choc, qui m'a préparé un bon gueuleton, et de quoi se changer ; je me dis que je peux donc repartir, et que ce coup de mou (qui dure depuis 56km) va quand même bien finir par passer !!! Je m'arête 10 bonnes minutes, pour récupérer correctement, mais à peine reparti, je me rends compte que rien n'y fait.
Je me dirige donc vers Trient, 16km plus loin. La montée vers la Glète ne se passe pas très bien. Je ne mange rien et je sens que je faiblit fortement. Ca ne va pas améliorer mon état, qui n'est pas terrible depuis le début. La descente de la Glète vers Trient ne facilite pas les choses ; un brin casse pattes, je n'avance pas à grand chose.
J'ai effectué une bonne partie de course avec un autre traileur, fort sympa ; on s'arrête au ravito de Trient, en se disant qu'on va finir se trail ensemble.
Je m'assoie au ravito de Trient, j'avale un soupe, et brusquement, je suis pris d'envies de vomir... Damned ; impossible d'avaler quoi que ce soit. Si je ne mange pas, je ne repars pas. Je n'ai pas envie de me blesser stupidement... Cela fait 3 heures que je ne me suis rien mis sous la dent, et il me reste 5-6h de course, donc faire 9h de trail à fort D+ sans s'alimenter n'est vraiment pas malin.
Mon assistance de choc me regonfle le moral ; je me pose une bonne heure, mais rien n'y fait. Je n'ai pas de jambes depuis le début de la course, et voila qu'en plus, je ne peux pas manger.
Le choix est Cornélien : soit je finis la course, mais les conséquences peuvent être fâcheuses ; soit je m'arête là pour éviter la casse, et je rebondirai sur une autre course.
D'autant plus que je ne pense pas avoir été "trop vite" ; mon cardio me donne 168 sur la première montée, puis je suis retombé progressivement sous les 150. Dans la montée de la Glète, je me maintiens sous les 160, à 150-155, et dans la descente, j'oscille entre 135 et 145 pulses / minutes : pas de quoi s'enflammer, et pourtant, j'ai clairement la sensation de 'me cramer'.
Je me dis que le plus sage est de s'arrêter là. Je repense à tous les efforts fournis pour arriver là, à ma bonne place à ce ravito malgré ma méforme, et au fait qu'il ne me reste que 28km, sur les 101 à parcourir au total et que je suis dans mes estimations : j'ai déjà fais le plus dur ! Oui, mais de l'autre côté de la balance, je me dis que je n'ai jamais été bien, qu'un manque d'alimentation peut causer de sérieux dégâts, que si je me reclaque le mollet, je vais le regretter bien plus que si j'abandonne, et que j'aurai beaucoup d'autres occasions de finir des trails.
Je vais donc opter pour la sagesse, et même si je suis très déçu de ne pas passer la ligne d'arrivée, je suis content des 72km et 4000mD+ effectués malgré des sensations mauvaises tout le long. Je n'ai pas eu de crampes, et n'ai pas envie de me casser les pattes et gâcher les 3 prochains mois... J'abandonne avec je pense beaucoup de lucidité ; c'était certainement plus compliqué d'abandonner que de s'entêter à finir la course, mais de temps en temps, il faut savoir se montrer raisonnable :-)
Enseignement numéro 1 : le sur-entrainement
Je pense m'être bien entrainé jusqu'aux vacances. Mais le fait d'avoir tant couru 10 jours avance la course, et de ne pas m'être arrêté la dernière semaine n'a clairement pas été payant. Sortie de 2h mardi avec 700m D+ et rando le mercredi avec 1000m D+, cela ne m'a laissé que le jeudi pour récupérer ; ce n'est pas suffisant, je pense.
Donc pour mes prochains trails, j'essaierai de me montrer plus raisonnable la dernière semaine, avec quelques sorties footing, et rien de plus.
Enseignement numéro 2 : l'alimentation
Les efforts fournis sont conséquents, et ne pas s'alimenter peut s'avérer dangereux. Ca a toujours été mon point faible : je n'arrive jamais à avaler les gels, et ne pense à manger du solide que trop tard. Pour vous donner une idée, sur ces 72km, j'ai pris : 0 gels, 1 barre énergisante, un peu de pomme et d'orange + de la soupe (qui n'est pas passée...). Il faut clairement que je me trouve une alimentation qui me convienne en course, sinon, ce type d'abandon ne risque pas d'être le dernier.
Enseignement numéro 3 : la plaisir, et la raison
Je fais du trail parce que j'adore ça, et que j'y prends beaucoup de plaisir. Si je cours avec des jambes de bois, en ne me faisant pas plaisir, et que je risque de me blesser, à quoi bon? Il est important de savoir conserver sa motivation, et ne pas se dégoûter, par acharnement.
Enseignement numéro 4 : le choix des courses
Paris avec le Bois de Boulogne, le Parc de Saint Cloud et la forêt de Fontainebleau sont d'excellents terrains d'entrainement, mais je ne pense pas que ce soit idéal pour un Ultra en Montagne. Enfin... pas si on veut faire 'un temps'.
Je vais donc pour l'instant me reconcentrer sur des trail plus courts, et répartir mes 4 trails par ans sur 2 de 30-50km, et 2 de 70-80km.
Je vais essayer de garder se rythme un ou deux ans, avant d'éventuellement retenter une course de montagne de + de 100km. Clairement, je ne me réalignerai pas sur une course si longue tant que je n'aurai pas solutionné ce problème d'alimentation, et engrangé de l'expérience sur des trails plus abordables.
La prochaine course aura très probablement lieu en Octobre, pour je l'espère, un rebonds en bonne et due forme :-)